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laurier rose et puceron jaune : récit d'une ingérence

  • péKube
  • 31 juil. 2022
  • 8 min de lecture

récit d'une intervention humaine dans le combat opposant le laurier rose au puceron jaune.


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l'assaut du bourgeon

Retour de Sicile. Plantes du balcon arrosées par des voisins. Les deux lauriers rose, le blanc et le rose clair, et les trois plantes grimpantes, chèvrefeuille, fuchsia, jasmin étoilé. Tout va bien. La terre est sèche et dure mais les vivantes vont bien. Les grimpantes, autant que les arbustes se sont épanouies. Surtout le chèvrefeuille : il fait enfin tinter nos yeux de ses clochettes orangées de jaune et de rose.


J'ai l'œil au détail. On me le reproche tant. Le diable s'y trouve, c'est pour ça que j'y regarde, moi ! je n'ai pas peur. La synthèse, c'est le regard du Dieu qu'on dit omniscient mais qui fait mine de ne pas voir... l'horreur du monde, injuste ! Dans le détail, il n'est plus omnipotent, seulement injuste, oui injuste.


Je scrute le laurier rose... rose et j'aperçois de minuscules ponctuations de jaune vif, accrochées au cou des bourgeons, sous le hamac des feuilles et sur les tiges jeunes et leurs intersections. Mes yeux cherchant à s'échapper d'espoir vers d'autres pousses - je veux dire dans l'espoir de ne plus retrouver ailleurs ces jaunes de stabilo - rebondissent sur des myriades de ces points. Il y en a partout. Aux yeux grossissants, le sourcil froncé, j'observe même du mouvement, des pattes qui ressemblent depuis mon gigantisme aux poils d'un duvet très fin.


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l'assaut des jeunes pousses

Ces pigments sont d'une étrange beauté. Ils ajoutent assurément à ma plante des tonalités. Le jaune et l'orange lui ravivent ses verts ombrés de la base : ce sont les couleurs, habituellement, des feuilles mourantes. Défuntes, tombées, leur jaune-orangé se déshydrate dans un orange un peu kaki, puis un marron clair, éclair au café, craquant sous le doigt. Il ne monte pas si haut, fort heureusement, ce nuancier du dernier soupir. Les feuilles qui jaunissent ne dépassent pas le premier tiers de l'arbuste. Les feuilles du haut, les jeunes et les moins jeunes, sont dans le vert plus clair traversé de lumière fraîche.


Ces petites bêtes en pagaille, habitants des sommets et des cimes, de mon arbre d'à peine un mètre au garrot, pointillent de jaune à la Seurat ce qui ne l'est donc habituellement pas ; et c'est beau. Elles côtoient le rose clair de la fleur ouverte et le rose plus sombre du bourgeon. Dans certains cas, quand ce dernier vire au fuchsia, la beauté tourne au graphique d'une dévoration sexuelle : c'est l'assaut de centaines de suceurs de sève sur le gland décalotté d'un chien ou d'un cheval excité ! À comparer les plus petits et les plus gros de ces succubes, on les imagine se grossir de dix fois en se gorgeant d'autant de sucs, attirant dans ce prépuce priapique l'élément de la dernière vigueur avant la mort.


J'arrive au milieu de la bataille. Elle a cette particularité qu'elle voit l'un des deux camps multiplier ses troupes et de cette façon vaincre. Les pucerons jaunes n'étaient que quelques uns au départ. Il en est mort, sans doute, mais surtout, il en est apparu ! Imaginez donc : des soldats qui vont se multipliant ! des armées levées en moins de deux ! il faut que ce soit le renfort envoyé par d'autres contrées... ou bien des extensions de conscription sur une population en âge de porter une arme qui soit bien nombreuse ! à moins qu'ils les recrutent au berceau ! les tout petits que je vois par leur grand nombre faire plier les branches, ils tètent encore leur mère ! Voilà ce que sont ces armées : des familles entières ! le général n'est pas seulement à la tête de sorbets deux boules : les accompagnent les épouses, fertiles, et leurs bambins. C'est une espèce qui pond vite, beaucoup et dont la gestation est de courte durée si j'en juge par la sociologie de ces bataillons.


Pour mon petit arbre, c'est, semble-t-il, mal engagé. La vigueur d'ensemble que je lui prêtais, sa vivacité, décline au microscope. Là où les insectes sont légion végète l'arbuste : la fleur flétrit, brunit, le bourgeon n'ouvrira pas. Certaines feuilles s'étiolent un peu et au cœur de leur perte de pigments, présentent de drôles de craquelures. Mais le reste est encore fier ! vigoureux ! c'est sans doute trompeur, car vraiment la stratégie militaire du puceron jaune paraît remarquable.


De la contemplation je dévale dans l'alarme et le besoin de réaction. C'est mon arbre qu'on attaque ! Je l'ai choisi, élu, je l'ai rempoté - c'est un peu comme de l'avoir planté - abreuvé, veillé, il me procure un plaisir immense, celui d'un bouquet durable que je m'offrirais tous les jours au lever et qui m'attend le matin de son inédite beauté, de sa composition nouvelle, de fleurs tombées et d'autres ouvertes, de pousses jeunes et d'autres alanguies.


à l'attaque donc ! je ne la laisserai pas seule en ce combat. Je m'arme d'une bouteille spray que j'ai remplie de savon de Marseille 100%. M'apprête à presser la gâchette pour arroser d'un jet puissant et bien dirigé les pucerons quand soudain... une coccinelle me frôle le nez ; elle est allée se poser sur l'extrémité d'une tige. Atterrissage parmi les pucerons, postant sa carapace rouge de points blancs sur ce monochrome de Seurat. Encore un régal colorimétrique ! c'est si beau... Mais justement, justement, la voilà qui s'engorge : à table ! elle s'est mise à table ! Je la fais immédiatement monter en grade, prendre des couleurs sur son bel uniforme ! vous voilà lieutenant, lui dis-je (j'ai sauté un grade pour l'encourager d'autant). Voilà qu'elle m'en déguste un autre. Mais le troisième puceron n'aura disparu qu'au bout d'une bonne demi-heure. Et puis voilà qu'elle s'envole la bête au Bon Dieu ! Je ne la revoyais que bien plus tard. Je m'étais emballé. L'ingrate, elle avait pris son galon sans mettre les bouchées double.

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l'alliée

Seul à te défendre, arbuste fleuri ! je spray, je pulvérise à ton secours. Sous l'impact du jet des pucerons se détachent et choient. Sinon, c'est dans cette eau savonneuse, glissante qu'ils perdent l'adhérence. Mon arsenal se complète de mes pulpes broyantes : je passe de l'index, du majeur, parfois de la pulpe de petit doigt dans les anfractuosités obscurs des pousses.


Carnage : j'ai réduit le presque millier d'ennemis à peau de chagrin. La veille dure plusieurs jours, dure encore. J'en aperçois ici ou là, un puceron ou deux, parfois une dizaine, une bande planquée sous une feuille, et je ne fais plus que passer les doigts pour les écrabouiller. Les cadavres sont la nouvelle ponctuation, charbon. Partout où j'ai pulvérisé, où j'ai senti sous la pulpe ce craquement de l'écrabouillé, ce ne sont plus que détritus noirs, méconnaissables. Ils ne sont pas tombés des feuilles ou des bourgeons mais ils ne sucent plus de sève. Inoffensifs, ils reposent, sur le hamac des feuilles comme sur leur lit de mort.


Les Etats-Unis de mon âme auraient-ils dû intervenir en Nerium Oleander ? Cette ingérence n'était-elle pas le signe d'une néo-colonisation du monde arboricole ? Le débat fait rage à l'ONU et parmi les permanents du Conseil de Sécurité de mon Esprit tourmenté. Fallait-il intervenir ? et le faut-il encore ? Certes, le laurier rose paraît sauvé, il peut retrouver, sous la veille de quelques troupes mobiles, l'indépendance de sa croissance verte. Ses fleurs peuvent à nouveau s'épanouir, ses bourgeons se développer, pleins de cette sève qu'on ne leur subtilise plus. Mais à quel prix ? des centaines de pucerons jaunes sont morts. Ils ne faisaient que répondre à leur besoin de survie. Fallait-il arbitrer ? Choisir une vie plutôt qu'une autre ? Nous avons agi selon nos intérêts et ce sont souvent les seuls qui nous dirigent : nous n'entretenons que peu de relations avec ces envahisseurs jaunes. Ils ajoutaient des teintes, certes ! ils étaient amusants à regarder, agitant leurs poils minuscules ! mais quelle interaction a minima ! Alors qu'avec les lauriers rose... c'est autre chose ! nous les avons élus, peut-être nous ont-ils aussi choisi. Que de plaisirs, nous le disions plus haut, nous procurent-ils ! Ils avaient besoin de nous, de l'eau que nous tirions de nos robinets et que nous apportions en bouteille. Leur indépendance n'était que partielle, il fallait donc intervenir ! et veiller encore !


C'est à cet instant qu'une voix d'orfraie s'éleva : elle stridait les tympans, crissait dans les tempes et dans les dents. "Ce laurier rose vous tuera ! Vous chouchoutez un arbre qui depuis des siècles tue des hommes, des femmes, des enfants, du bétail et d'autres animaux. Stupide héros ! Vous ne saviez donc pas que tout est poison dans cet arbrisseau ? les tiges, les fleurs, les feuilles ! surtout les feuilles ! même mortes, elles libèrent leur poison dans l'estomac de celui qui les croque ! elles l'infusent dans les flaques d'eau sur lesquelles elles flottent ! des animaux croient boire dans une eau saine, ils s’empoisonnent le cœur parce que des feuilles mortes de laurier rose y ont trempé ! bientôt ils vomissent, leur pouls ralentit, c'est la glycoside qui fait exécuter sa peine. Vous mettez vos animaux domestiques et vos enfants en danger : les uns pour la raison qu'ils s'abreuvent dans l'eau croupissante de vos pots, les autres parce qu'ils ne peuvent s'empêcher de porter toute chose à la bouche, voie de la Connaissance ! C'est bien pour ça que Dieu interdit au couple originel de manger un fruit. C'est le fruit de l'arbre de la Connaissance. Elle s'ingère, elle s'obtient par la bouche. Mais cette feuille qu'ils veulent connaître va les tuer ! De l'innocence de la vie ils connaitront la mort ! La feuille de laurier est très toxique pour l'enfant et l'animal ! En sauvant cet arbre vous sacrifiez les plus faibles d'entre-nous, et surtout votre futur ! Ne vous trompez donc pas d'ennemi : le puceron jaune est votre allié !"


Ce n'était pas la seule voix discordante. Au fond de nous, nous aurions aimé ne pas intervenir. Nous aurions voulu laisser la nature se débrouiller elle-même, seule, sans l'intervention humaine, cette plaie.


Que l'herbe folle pousse et si c'est elle qui gagne, et envahit, tant pis, tant mieux, ce n'est pas notre affaire ! Et même si cela le devient, que la nature, laissée à elle-même, nous emporte ! La catastrophe naturelle seule peut y parvenir ! l'immense ! il faudrait une nouvelle météorite, de l'envergure de celle qui supprima les dinosaures. Au fond de moi, oui, le déluge, mais qu'il n'y ait rien après, rien que la nature sans l'homme. Avec moi, maintenant, tout de suite, le déluge : c'est au contraire le souci de ne pas se soucier de ce dont on ne devrait pas.


Et c'était peut-être l'autre jour qu'il fallait commencer à se laisser détruire, en n'intervenant pas en ce conflit du laurier rose et du puceron jaune.


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Le sacrifice

Notes de l'auteur :


1) Le laurier rose a pour nom scientifique Nerium Oleander. Plusieurs hypothèses sont avancées sur l'étymologie de ce nom. La plus répandue rattache l'arbuste à l'eau. Pas très bandant. Mais sur le grand Wikipédia dont il faut se méfier, voici ce que l'on trouve par ailleurs : "Une autre théorie avancée est que le laurier rose est la forme latinisée d'un nom composé grec : οllyo (ὀλλύω) « je tue » et le nom grec pour l'homme, aner , génitif andros (ἀνήρ, ἀνδρός), attribué à la toxicité du laurier rose pour les humains." Vous conviendrez que cette hypothèse est plus alléchante...


2) Voici deux descriptions plus botanistes du laurier rose. J'ai plaisir à les lire, leur jargon a le réjouissant obscur du poème : a) "Les feuilles sont persistantes, plutôt coriaces, allongées et fusiformes, les feuilles du laurier-rose sont verticillées (c’est-à-dire insérées au même niveau, par groupe de 3, en cercle autour des tiges) ou opposées sur les rameaux. Longues de 5 à 20 cm, elles sont coriaces, d’un vert foncé brillant sur le dessus et de couleur vert pâle et terne sur le dessous." https://www.phytomania.com/laurier-rose.htm

b) "Le laurier rose fait partie de la famille des apocynacées (Apocynaceae). Ses feuilles à court pétiole, lancéolées, sont glabres, vert foncé, coriaces; leur limbe est entier, elles ont 10 à 15 cm de longueur et sont disposées par 2 ou 3. En été, l’arbuste se pare de panicules floraux abondants. Chaque fleur a 5 pétales, qui sont soudés entre eux à la base pour former un tube. Les 5 étamines sont étroitement insérées autour du stigmate. La couleur des fleurs est généralement rose, mais elle varie entre le rouge et le blanc ou peut même être jaune ou orange."















 
 
 

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